11 novembre 1918 : des millions de soldats deviennent des anciens combattants

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Après leur retour, les anciens combattants allaient-ils dénoncer la barbarie de la guerre et défendre le pacifisme ? Ou militer pour un nationalisme qui justifiait leur sacrifice ?

À travers leurs associations et leurs publications, ils expriment un refus catégorique de tout nouveau conflit. Leur cri est unanime : « C'est la der des der ! Plus jamais ça ! »

 

Marqués à vie

Les combattants démobilisés sont profondément marqués - et même parfois traumatisés - par la vie menée au front sous la menace permanente de la mort, dans l'angoisse et la peur. Certains ont tué et cette réalité est lourde à porter. Certains ont même été désignés dans un peloton d'exécution pour fusiller un camarade. Les 675 fusillés pour l'exemple l'ont été par des soldats français.

Leur vécu est incommunicable : les combattants, comme ceux de toutes les guerres, sont marqués à vie et cela les met à part de la population.

 

Le retour des combattants

Il ne faut pas imaginer les soldats démobilisés de retour chez eux dès le 12 novembre 1918. La démobilisation est longue. Elle nécessite des démarches administratives dans les régiments, la fabrique et l'attribution de vêtements civils. Elle pose des problèmes de transport. Le retour sera échelonné sur de longs mois, provoquant impatience, incompréhension et colère.

La guerre va continuer ailleurs jusqu'en 1925. L'armée d'Orient va occuper l'empire ottoman. La France, les États Unis, la Grande Bretagne et le Japon vont mener la guerre en Russie contre les bolcheviks en soutien aux armées blanches tsaristes.

De retour à la ville ou au village, les soldats doivent vite retrouver du travail. Mais ils découvrent que d'autres occupent leur ancien emploi.

Les mutilés doivent aussi s'occuper de faire reconnaître leur(s) blessure(s) pour percevoir une pension. Les pensions étaient régies par une loi de 1831 totalement inadaptée à cette guerre industrielle. La loi ignorait les invalidités dues aux gaz. Ces pensions ne représentaient, pour les meilleures, à peine plus d'un demi-salaire ouvrier moyen.

Pour changer la loi, un long débat parlementaire commence en mai 1915 et s'achève le 31 mars 1919 : presque 4 ans !

 

La fête de l'armistice à Villefranche

Le Courrier du Beaujolais du samedi 16 novembre 1918 fait un récit de cette fête titré : Le jour de gloire, suivi d'un article qui montre l'enthousiasme des caladois.

« Villefranche a fêté dignement ce jour mémorable, qui restera marqué dans l'Histoire de l'Univers.

A 11h dès que la nouvelle a été connue par un communiqué de M. Guillermet, puis confirmée par la mairie, les caladois ont arboré le drapeau tricolore à leurs fenêtres et ceux des alliés.

Quelle joie ! Quel enthousiasme ! Quel délire ! Depuis déjà bien des années on n'a vu pareille animation dans les rues de la cité. Les cloches sonnent à toute volée, les industriels, négociants et commerçants ont fermé en signe de fête et donné congé à leur personnel.

Toute l'après-midi a été marquée par des feux de joie, des chants et des défilés. Les monuments et édifices publics sont pavoisés et illuminés. Les sociétés patriotiques et l'Union des Mutilés se sont réunies devant la mairie et ont défilé dans les principales artères caladoises.

Les monuments et édifices publics sont pavoisés et illuminés. A 8 heures du soir, une retraite aux flambeaux a parcouru les rues de la ville ; la marche était ouverte par une auto de M. Florentin, conduite par son chauffeur. M. Frappaz, médecin major de la place, était aux côtés de M. Florentin, représentant de la municipalité.

Les gendarmes à cheval suivaient ; le premier groupe d'aviateurs encadrait le cortège de près de 3 000 assistants.

Dans le défilé, nous remarquons la Compagnie des Sapeurs Pompiers, les clairons de diverses sociétés de la ville et les membres de celles-ci.

Le défilé était fermé par l'auto des mutilés et un camion-auto de l'aviation.

A la même heure, l'Harmonie de Villefranche a donné un concert au kiosque de la place de la Sous Préfecture. La Marseillaise a été acclamée. Ce n'est que vers minuit que cette journée a pris fin, aussi les cafés n'avaient pas fait, depuis longtemps de pareilles recettes.

Ce fut une belle journée, brillante et bruyante ; la population caladoise ne pouvait faire mieux pour fêter l'aube de la victoire. »

 

Les fêtes pour les démobilisés

En 1919 et 1920, dans de nombreuses communes du Beaujolais, des fêtes et des banquets se déroulent en l'honneur des poilus démobilisés.

A Villefranche, le Courrier du Beaujolais annonce : « Un grand concert le jeudi 6 février 1919 au Royal Cinéma avec en première partie : "cinématographe" et en deuxième partie : "concert par des vedettes". La recette sera réservée à la caisse de la Société et aux Pupilles de la Nation. »

Le Réveil du Beaujolais du 12 mars 1919 signale qu'une loi fixe la prime de démobilisation à 250 F avec une augmentation dans certaines conditions.

 

1922, les combattants imposent le 11 novembre comme fête nationale

A ce propos, Antoine Prost écrit dans son livre "Les Anciens Combattants - Gallimard, collection Folio Histoire - 2014" : « Les associations de combattants refusent de faire du 11 novembre une manifestation militaire. Le lieu de la manifestation est le monument aux morts, c'est à dire une tombe. On ne célèbre pas le culte de la patrie victorieuse, mais celui des morts.  Ce qu'ils résument par une formule simple : « Maudite soit la guerre ! »

La haine de la guerre est abondamment propagée, d'où la volonté de faire participer les enfants aux cérémonies du 11 novembre. Ils développent une pédagogie de la paix : la guerre est inacceptable et il faut dire la vérité sur la guerre et son horreur.

Il leur semble primordial d'organiser la paix et la sécurité internationale fondée sur l'arbitrage d'un tribunal. Ainsi, ils vouent un culte profond à Aristide Briand prix Nobel de la paix en 1926 et qui a agi pour la réconciliation franco-allemande. Dans les associations de gauche, le culte de Briand est ancien et profond. Aucun homme politique n'a suscité un tel consensus parmi les combattants qui voulaient un pacifisme "sérieux et raisonné" opposé au "pacifisme bêlant". La plupart refusent le patriotisme "étroit", "agressif", "chauvin", "cocardier". Bref le nationalisme. Ils prônent un patriotisme qui assemble l'amour de la France à celui de l'humanité. A signaler que c'est le fidèle héritage de l'école primaire républicaine du début du siècle. Mais l'opposition entre les associations de combattants de gauche et de droite sur la base de leurs conceptions va en s'accentuant et crée des clivages.

Les associations d'anciens combattants mènent aussi une longue action restée assez méconnue. Ils interviennent régulièrement auprès des élus et du gouvernement pour la réhabilitation de leurs camarades, les soldats "fusillés pour l'exemple". Une bataille de longue haleine concernant des épisodes que les gouvernements et la haute hiérarchie militaire préfèrent laisser dans l'ombre de l'oubli.

Extraits de la conférence donnée par la Société Populaire à la Médiathèque de Villefranche en décembre 2015

 

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